Le jour n’était pas tout à fait ingrat, un après-midi hivernal sans histoire, sans neige, sans glace, sans soleil éclatant. Le ciel est pâle mais pas sans lumière et les cils s’ourlent de gouttes. Les mains cherchent la chaleur d’une étoffe ou d’une autre main, qui sait. La terre colle aux semelles, le grès rose colore les flaques.
Les arbres ne le savent pas, mais c’est le premier jour de l’année. L’année n’a pas été aussi tendre que leur écorce mouillée. D’autres vies que les leurs ont été bouleversées, bousculées. On a moins bourlingué. On a été forcé d’adopter une certaine fixité, semblable à celles des végétaux. D’ailleurs, on a pas mal végété. Enfin, pas tous. Certains ont connu peu de répit.
Pendant les deux premiers mois d’une année, les journées ont tendance à se ressembler. Ici, la grisaille ; souvent, continuellement. L’azur se lit quelque fois entre les nuages gris et blancs, pareil à une muette note d’espoir.
Nous sommes humains, nous avons besoin de repères temporels à la minute, voire à la seconde près. Les portes du train ferment trente secondes avant l’heure du départ. À quoi bon les horaires ? Mais le retard d’une ou de deux minutes exaspère. 120 secondes de trop accélèrent les battements du coeur, la sueur et les enjambées. Les yeux fixés au cadran de la montre (non, il n’est pas assez précis) – les yeux fixés à un écran – le nez collé à la fenêtre du train avec l’espoir d’apercevoir dare-dare un quai et, surtout, la possibilité de s’y élancer. Tout ça pour ne pas rater un autre rendez-vous avec un horaire.
Nous n’avons jamais eu autant de secondes libres. C’est prouvé et compté. Mais ce temps retrouvé paraît illusoire. Il doit être utilisé, investi, épuisé à tout prix. Même l’ennui doit comporter des vertus productives.
C’était un jour pas tout à fait ingrat, un après-midi hivernal sans histoire, sans neige, et cetera. C’était le premier jour de l’année et les sapins, les cassenoix, la boue, les lombrics s’en foutaient.