II
Partie 1
« – Pile à l’heure, comme toujours ! » s’exclama Elisa, la bouche moitié pleine de jambon de Parme, moitié pleine de gouaille.
« – Tu m’excuseras, j’ai la dalle. J’ai dû demander à Alessandro de me chercher un truc à grignoter. Ce régime me rend folle. J’ai l’impression d’être une ogresse qui s’aimerait fée. Comme si les milkshakes à la fraise suffisaient à nourrir une nénette comme moi. Il n’y a rien à faire, je suis sur les dents. Je vois les usagers se mouvoir comme des poulets. Je te dis pas l’eau à la bouche que j’avais à l’heure de pointe en les voyant tous se bousculer. T’imagines avoir des hallucinations comme ça ? A propos, tu as mangé quoi à midi ? »
Gio la regardait avec un sourire en coin. Elisa avait la manie de mener des monologues infinis. Si son poids représentait le principal sujet de ses logorrhées, elle excellait dans bien d’autres domaines : de Paolo Conte à sa recette de tiramisu en passant par la chasse. (Parce que oui, elle chassait. Gio ne pouvait se figurer où puisqu’elle vivait à Turro et quittait rarement le quartier à part pour aller travailler). Gio l’aimait bien et s’amusait à regarder sa bouche charnue, finement soulignée d’un duvet blond délicat, s’agiter, se tordre, s’ouvrir grand, faire des « a » et des « o ». Elle avait une chevelure épaisse et blond foncé dans laquelle Gio devinait des nœuds difficiles à démêler. Il mit quelques secondes à lui répondre parce que ses papilles avaient du mal à se rappeler le dernier met qu’elles avaient touché.
« Une glace.»
Elisa reprit son soliloque à base de « Comment ça une glace ? Juste une ? Mais tu vas fondre à cette allure-là !
– Justement, elle était fondue. »
Elisa ne sut que dire. Gio la laissait parfois bouche bée. Mais jamais pour longtemps. Elle recommença prestement à parler, mentionna quelques broutilles qui s’étaient produites pendant la journée. Gio acquiesçait. Il remarqua qu’Alessandro, le vendeur de panini, faisait des signes, regardait sa montre avec une pincée d’impatience. Gio le fit remarquer à Elisa qui pouffa « Il peut bien m’attendre celui-là ! ». Elle finit quand même par enlever son gilet pour faire face à la chaleur du dehors. Elle prit son sac à main en cuir rouge satiné, claqua une bise sèche à Gio et trotta du mieux qu’elle put jusqu’à Alessandro. Gio remarqua que le vendeur avait coiffé ses cheveux bouclés dans un style différent, avec plus de gel à effet mouillé. Il avait dû également s’arroser de parfum, en mettre au creux de son cou, s’en frictionner les joues avec l’air soucieux dans les toilettes publiques car il devait aussi anticiper le moment où Elisa viendrait se blottir contre lui.