Chapitre I
Partie 1
Il marchait beaucoup, avec souvent la peur au ventre, la peur des autres. Beaucoup. Dans le parc, la glace qu’il vient de s’offrir fond presque instantanément. La journée est torride, sans un souffle de vent salvateur. C’est ce foutu manque d’eau. Pas de rivière et encore moins de mer ! Il y a bien ces fameux canaux mais leurs eaux artificielles ne fait que croupir pendant l’été. Il aime la ville autant qu’il la déteste. Un amour vache, une passion irritable.
De son banc, il peut apercevoir la tour de télévision Rai, avec son allure futuriste démodée, qui s’offre entre les feuillages. La cacophonie du petit écran lui vient aux oreilles comme un mirage sonore entêtant. Vite, il faut clore les paupières et fermer les volets sensoriels. Quand l’hallucination passe enfin et qu’il rouvre les yeux, la lumière ambiante vient lui enflammer les pupilles. Il recouvre son sang froid. La glace au citron est complètement dissoute, formant une soupe froide dans son gobelet. Il aspire la flaque jaune pâle, produit un son de succion irritable.
Dans le parc, les êtres vaquent à leurs occupations. Des femmes, plus ou moins jeunes, poussent des poussettes au creux desquelles dorment ou bien crient d’autres petits êtres. Des hommes à la peau noire filent à bicyclette, font un somme à l’ombre des platanes, jouent au foot. Un groupe d’adolescents occupe un banc voisin, des bribes de leur conversation retentissent dans l’air. En haut d’un rempart, un homme est plongé dans un journal. On ne voit que ses mains qui tournent les pages prestement, sans s’appesantir sur l’une ou l’autre nouvelle.
Notre homme, Gio, ne lisait plus les nouvelles. Les éviter n’est pas un jeu d’enfants car n’importe où l’on regarde, n’importe où l’on écoute, on voit, on entend une logorrhée d’informations. Tel pays bombarde tel pays. Telle région du monde connait sa plus grande catastrophe écologique. Un tel a tué dix personnes gratuitement. Aussi loin qu’il s’en souvienne, cela a toujours été comme ça. Les temps ne changent pas. On n’évolue pas. Les dinosaures, les humains… Même combat.
Il se leva de son banc et continua sa balade en direction de son travail. Il arpenta la rue étroite du quartier chinois, se frayant un passage entre les bicyclettes, les piétons et les rails du tram. Les boutiques de vêtements bon marché avaient rouvert et on pouvait y apercevoir des hommes et des femmes derrières des comptoirs, la sueur au front malgré les ventilateurs. Beaucoup d’entre eux avaient le visage baissé. La lumière qui se reflétait dans leurs yeux donnait un indice quant à l’appareil qu’ils étaient en train d’utiliser. « On ne lit plus », pensa Gio qui se demandait aussi pourquoi les vêtements étaient souvent encore dans des housses en plastique. Drôle de vision ces formes humaines dans des sacs translucides. Absolument morbide. Enfin, c’est ce qu’il pensait.
Les immeubles se succédaient et puis se firent de plus en plus rares et délabrés. Gio racla son doigt sur les briques sales d’un mur tapissé d’affiches en lambeaux. De nombreux cirques, des chanteuses à l’eau de rose au patronyme à rallonge, des combats politiques inachevés. Gio n’y portait pas attention. Cette parcelle de rue l’apaisait, il n’y avait pas un chat à part quelques scooters qui filaient sans le remarquer.
Mais le calme ne durait jamais longtemps, et il déboucha bientôt sur un carrefour vrombissant de véhicules. Les klaxons résonnaient jusque dans sa boîte crânienne. Les feux tricolores étaient quasiment inexistants, et traverser en courant était probablement la meilleure des solutions. Gio n’avait de toute façon pas la patience d’en faire autrement. Une fiat jaune faillit le renverser, puis ce fût au tour d’une moto de faire une embardée pour l’éviter. Les insultes pleuvaient, des mots crus qui lui faisaient simplement hausser les épaules. A quoi bon s’emmerder ?